La faute suprême des explorateurs (BI 577)

Le livre de Bamidbar (Nombres) raconte avec plus ou moins d’emphase les différentes étapes du peuple d’Israël dans le désert. Pour les lecteurs familiers du texte biblique, il semble que chacun des épisodes rapportés soit comme l’écho répété de l’échec de toute une génération d’israélites.

En effet, le tableau est plutôt sombre. Le peuple d’Israël est présenté comme une nation de rebelles depuis sa sortie d’Égypte, ainsi que le rappelle plusieurs fois Moché : Deutéronome 9.7 : « Souviens-toi, n’oublie pas de quelle manière tu as excité la colère de l’Éternel, ton Dieu, dans le désert. Depuis le jour où tu es sorti du pays d’Égypte jusqu’à votre arrivée dans ce lieu, vous avez été rebelles contre l’Éternel. »

C’est même à la suite du rapport désastreux des explorateurs envoyés en Canaan et de la rébellion des israélites qui a suivi, que la décision est prise de faire cheminer Israël 40 ans dans le désert. Pour nous qui lisons le texte et connaissons la suite de l’histoire, nous admettons facilement que ce temps passé dans le désert a cependant été profitable et utile pour amener le peuple à la foi en son Dieu.

On en oublierait presque que le projet initial de Dieu n’était pas de faire durer les choses 40 ans dans un désert torride à corriger et éduquer un peuple à la « nuque raide ». La vérité est que l’objectif premier a toujours été de conduire le peuple dans la terre de la promesse faite aux patriarches. Même lorsque le peuple s’est refusé à cette entreprise, Dieu, lui, n’a pas changé d’avis.

Le récit bien connu des hommes envoyés par Moché pour explorer le pays et leur rapport négatif peut paraître facile à comprendre et les leçons en matière d’éthique et de foi aisées à discerner. Il n’en demeure pas moins des questions et une portée qui dépasse celle relative aux seuls protagonistes de cette histoire. La parachah Chéla’h Lekha, qui débute avec cet épisode, recèle par ailleurs des indices éclairant sur ce qu’il convient peut-être d’en retenir en notre 21e siècle[i].

Certains pourraient considérer avant tout cet épisode comme un parmi tous ceux évoquant la rébellion d’Israël dans l’ensemble des pérégrinations du peuple dans le désert. Sauf que les ‘ha’hamim (les sages d’Israël), ont traditionnellement fait coïncider cet événement au 9 du mois de Av. C’est-à-dire la date du calendrier qui rappelle les destructions du Temple au 6e siècle avant l’EC, puis par les Romains au 1er siècle de l’EC. Autant dire que ce récit est tout sauf anodin. Le refus d’entrer dans le pays de Canaan est à priori assimilable à l’une des plus grandes catastrophes qu’ait vécues le peuple d’Israël.

Lisons le début de notre texte : Nombres 13.1.

L’Éternel parla à Moïse, et dit: 2Envoie des hommes pour explorer le pays de Canaan, que je donne aux enfants d’Israël. Tu enverras un homme de chacune des tribus de leurs pères; tous seront des principaux d’entre eux. 3Moïse les envoya du désert de Paran, d’après l’ordre de l’Éternel; tous ces hommes étaient chefs des enfants d’Israël. (…) 16Tels sont les noms des hommes que Moïse envoya pour explorer le pays. Moïse donna à Hosée, fils de Noun, le nom de Josué. 17Moïse les envoya pour explorer le pays de Canaan. Il leur dit: Montez ici, par le midi; et vous monterez sur la montagne. 18Vous verrez le pays, ce qu’il est, et le peuple qui l’habite, s’il est fort ou faible, s’il est en petit ou en grand nombre; 19ce qu’est le pays où il habite, s’il est bon ou mauvais; ce que sont les villes où il habite, si elles sont ouvertes ou fortifiées; 20ce qu’est le terrain, s’il est gras ou maigre, s’il y a des arbres ou s’il n’y en a point. Ayez bon courage, et prenez des fruits du pays. C’était le temps des premiers raisins.

21Ils montèrent, et ils explorèrent le pays, depuis le désert de Tsin jusqu’à Rehob, sur le chemin de Hamath. 22Ils montèrent, par le midi, et ils allèrent jusqu’à Hébron, où étaient Ahiman, Schéschaï et Talmaï, enfants d’Anak. Hébron avait été bâtie sept ans avant Tsoan en Égypte. 23Ils arrivèrent jusqu’à la vallée d’Eschcol, où ils coupèrent une branche de vigne avec une grappe de raisin, qu’ils portèrent à deux au moyen d’une perche; ils prirent aussi des grenades et des figues. 24On donna à ce lieu le nom de vallée d’Eschcol, à cause de la grappe que les enfants d’Israël y coupèrent. 25Ils furent de retour de l’exploration du pays au bout de quarante jours.

À ce stade, il convient de faire plusieurs remarques et battre en brèche les idées reçues sur ce récit. Le texte que nous avons en français, quoique relatant les faits, ne traduit pas exactement le processus qui a amené ces hommes à partir explorer le pays de Canaan. Certes, Dieu demande à Moïse au verset 1 d’envoyer des hommes, mais en hébreu, nous avons plus exactement « chéla’h lekha », ce qui signifie littéralement, « envoie pour toi ». Qu’est-ce que cela peut signifier ?…

Deutéronome 1.22 et 23 est plus précis à ce sujet :

21Vois, l’Éternel, ton Dieu, met le pays devant toi; monte, prends-en possession, comme te l’a dit l’Éternel, le Dieu de tes pères; ne crains point, et ne t’effraie point. 22Vous vous approchâtes tous de moi, et vous dîtes: Envoyons des hommes devant nous, pour explorer le pays, et pour nous faire un rapport sur le chemin par lequel nous y monterons et sur les villes où nous arriverons. 23Cet avis me parut bon; et je pris douze hommes parmi vous, un homme par tribu.

Ainsi donc, l’initiative vient du peuple qui consulte Moché qui lui-même approuve la démarche. Ceci étant, c’est Dieu qui définit les modalités de cette entreprise.

S’il s’agissait de préparer la voie aux corps d’armées des israélites, la mission aurait été de nature strictement militaire et ce sont des agents de renseignements que l’on aurait envoyés, dotés des compétences adéquates pour ce travail. Mais il n’en est rien. Le choix de Dieu est celui de princes de chaque tribu. Donc, ni des militaires, ni même de vrais notables, mais des gens dignes de confiance, des représentants du peuple considérés comme des tsadikim, des « justes ».

La mission de ces 12 explorateurs est d’une nature très singulière. Il convient de nous souvenir de la finalité du projet de Dieu et la valeur symbolique des étapes proposées par Dieu à Moché et son peuple :

Exode 3 : 7L’Éternel dit: J’ai vu la souffrance de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu les cris que lui font pousser ses oppresseurs, car je connais ses douleurs. 8Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens, et pour le faire monter de ce pays dans un bon et vaste pays, dans un pays où coulent le lait et le miel, dans les lieux qu’habitent les Cananéens, les Héthiens, les Amoréens, les Phéréziens, les Héviens et les Jébusiens.

La sortie d’Égypte est le commencement d’une nouvelle aventure du peuple avec son Dieu. Elle sera suivie du don de la Torah sur le mont Sinaï. Mais le but final de Dieu est d’amener son peuple dans le pays de la promesse faite aux patriarches. La terre promise est cependant plus qu’une simple terre pour y faire résider un peuple. La valeur symbolique et spirituelle de la terre est d’une grande importance ici. Elle est en quelque sorte une anticipation d’une réalité spirituelle sublimée du monde à venir.

La terre de la promesse est empreinte d’un symbolisme spirituel qui dépasse les contingences perceptibles de la conquête ultérieure sous la férule de Yéhochoua’. L’entrée en Canaan n’est pas conditionnée à la force ou à la stratégie d’une armée bien préparée. Elle est l’aboutissement d’un itinéraire de foi.

La propriété de la terre est accordée à Abraham et sa descendance sans aucune condition (Genèse 12.7, 13.14-17, 15.7,18-21, 17.8, 28.13-15…). Cependant, l’occupation du pays par d’autres peuples bien plus puissants qu’Israël n’est, en quelque sorte, que le reflet de l’image que se font les israélites du pays de la promesse. Les Cananéens étaient bien sûr réels et parfaitement « visibles » – d’autant que certains étaient des géants – et les fruits recueillis l’étaient tout autant. Mais « le lait et le miel » que les explorateurs ont vu de leurs yeux étaient avant tout une bénédiction matérielle, des fruits éphémères de leur propre « récolte », cueillis de leurs propres mains.

Nombres 13.28 : « Voici ce qu’ils racontèrent à Moïse: Nous sommes allés dans le pays où tu nous as envoyés. À la vérité, c’est un pays où coulent le lait et le miel, et en voici les fruits. »

Mais « Le lait et le miel », ainsi décrits la première fois par Dieu en Exode 3 et relatif au pays, représentent en réalité la bénédiction de la promesse, celle faite à Abraham, celle du monde invisible, celle qui résulte de la foi.

On va d’ailleurs voir de plus près certains aspects de cette « exploration » et la manière finalement coupable des princes d’Israël qui vont faire bien plus que décrier une terre parce qu’ils se sentaient incapables de la ravir aux peuples puissants du pays.

En réalité, ces explorateurs vont purement et simplement rejeter le projet de Dieu pour eux.

Le récit nous amène à nous poser plusieurs questions de fond sur les intentions véritables des israélites en demandant l’envoi d’explorateurs en Canaan.

Certes, ils sont témoins depuis plusieurs semaines de miracles répétés et puissants de la part de Dieu. Mais ils sont aussi prompts à considérer les « mets succulents » de l’Égypte comme meilleurs que ce qui les attend en se rendant dans le pays de la promesse – le pays du lait et du miel.

Comment les israélites considèrent-ils le pays de la promesse, celui de leur destination finale ?

Le voient-ils avant tout comme une terre fertile, propre à les enrichir et à leur assurer une prospérité ? Ou alors, le pays s’inscrit-il comme la concrétisation d’une relation spirituelle particulière avec le Dieu créateur ?…

Pour bien des sages d’Israël, le rapport de la terre au passé et au témoignage des ancêtres est d’une grande importance. Elle est le lieu de la sécurité assurée par la promesse. C’est la foi en conformité avec celle d’Abraham qui doit mener le peuple vers la destination finale qui est Canaan.

Le pays de Canaan est le lieu où Abraham et les autres patriarches ont vécu, là où réside leur témoignage et où Dieu leur a parlé. C’est aussi le lieu de leur sépulture, témoignage éloquent de leur vie passée.

Pour certains ‘ha’hamim, la terre de la promesse est en quelque sorte une porte ouverte vers le ciel. Canaan n’est pas juste une bonne terre agricole, un lieu de villégiature susceptible de combler ceux qui chercheraient un lieu où vivre leurs dernières années.

La terre de Canaan a donc une valeur symbolique et spirituelle extrêmement forte pour les israélites. L’initiative des israélites consistant à demander à Moché d’envoyer des explorateurs n’est pas condamnée par Dieu.

Sans doute faut-il comprendre que les israélites voulaient s’assurer de la « valeur » de cette terre et avoir un aperçu de sa « sainteté » en rapport avec l’espérance dans la promesse qui leur avait été faite.

Pour ce faire, quoi de plus légitime que d’envoyer les meilleurs représentants du peuple, susceptibles d’apprécier à sa juste valeur la qualité intrinsèque de la terre promise.

C’est donc des princes reconnus pour leur loyauté et leur capacité de discernement qui sont envoyés dans le pays. À leur retour, il était attendu un rapport circonstancié de la « sainte » qualité du pays qui allait être comme une porte ouverte du peuple vers le Seigneur.

Bien plus, ce pays devait devenir le fondement d’un témoignage puissant de tout le peuple auprès des Nations.

Douze hommes sont choisis, dont Caleb et Josué (proche collaborateur de Moché).

21Ils montèrent, et ils explorèrent le pays, depuis le désert de Tsin jusqu’à Rehob, sur le chemin de Hamath. 22Ils montèrent, par le midi, et ils allèrent jusqu’à Hébron, où étaient Ahiman, Schéschaï et Talmaï, enfants d’Anak. Hébron avait été bâtie sept ans avant Tsoan en Égypte. 23Ils arrivèrent jusqu’à la vallée d’Eschcol, où ils coupèrent une branche de vigne avec une grappe de raisin, qu’ils portèrent à deux au moyen d’une perche; ils prirent aussi des grenades et des figues.

Bien entendu, nous connaissons le symbole le plus probant d’Israël que sont ces deux hommes portant sur une perche une grappe de raisin impressionnante. Assurément, le pays est véritablement un pays où coulent le « lait et le miel » (quoiqu’il s’agisse ici de raisin et d’autres fruits). Pas de doute, le pays est riche économiquement.

Je souhaite cependant mentionner une petite nuance au verset 22. Nos versions en français précisent que le groupe d’explorateurs est monté par le midi, puis qu’ils se sont rendus à Hébron. En fait, en hébreu, le verbe précisant le déplacement vers Hébron n’est pas au pluriel, mais au singulier.

Ainsi donc, ce ne sont pas tous les explorateurs qui se sont rendus à Hébron, mais un seul, en l’occurrence Caleb (auquel plus tard cette terre sera attribuée).

On peut alors imaginer plusieurs scénarios. Sans doute que les explorateurs ne perçoivent pas tous leur mission de la même manière. Pour Caleb cependant, il semble légitime de commencer leur périple par une visite au caveau des patriarches à Hébron.

N’est-il pas le lieu de prédilection pour constater la « sainteté » du pays et s’approcher de Dieu ?…

Les autres explorateurs ne semblent peut-être pas disposés à le suivre.

Quant à Josué, son statut de proche assistant de Moché témoigne de ses prédispositions spirituelles. Moché lui donne d’ailleurs de changer de nom pour Yéhochoua’ – la même racine que Yéchoua’, qui signifie rédempteur ou sauveur. Un changement de nom qui, de fait, le place à la tête de l’expédition.

Les commentateurs juifs ajoutent que la racine du mot « Hébron » est habar qui signifie par ailleurs relier ou joindre. Ce qui pour eux signifie que Hébron est le lieu qui « rapproche » la terre du ciel.

Dans cette perspective, Caleb a eu raison de commencer par se diriger vers cet endroit afin d’apprécier la singularité du pays et ce qu’il avait entendu au sujet de l’action du patriarche Abraham. En restait-il encore quelque chose après tant de siècles ?

Les autres princes, quant à eux, voient une autre perspective, bien différente, peut-être plus matérielle que spirituelle. Peu après, Koré et ses complices, insatisfaits, chercheront à ramener le peuple en Égypte, le pays qu’eux-mêmes désigneront comme le pays où coulent le « lait et le miel » (Nombres 16.13-14), en complète opposition au projet de Dieu. Cela en dit long sur la profondeur de leur rébellion.

À leur retour, le rapport est on ne peut plus véridique. Les princes sont sincères et déclarent sans détour la vérité brute de ce qu’ils ont vu. La terre est en effet riche de plein de produits. Ils montrent la grappe et les autres fruits, témoignages de leur exploration. Sauf qu’ils ont aussi vu des peuples idolâtres, puissants et de haute taille. La terre de la promesse est loin d’être un paradis de sainteté. Au-delà de l’hostilité certaine des peuples qui occupent le terrain, il est clair que ce sont des peuples débauchés et idolâtres, dont la cohabitation est inenvisageable.

Ce qui était pour les princes une terre avant tout à « convoiter », devient à leurs yeux un enfer et non un paradis. Bien plus que l’impossibilité matérielle de conquérir des nations à leurs yeux bien trop fortes pour eux, ils voient dans ce pays une terre qui « dévore » ses habitants (v.32).

Au lieu d’être un pays qui doit les nourrir, ils voient un pays qui va littéralement les « manger ». Ce vocabulaire « excessif » montre le côté très terre à terre et même charnel de ces hommes. Ils ne relient pas les terres explorées à la promesse divine et aux moyens déployés par Dieu pour purifier le pays de ses occupants idolâtres.

Voilà que les choses ensuite se compliquent. Les explorateurs ne sont pas d’accord entre eux. D’un côté Josué et Caleb, de l’autre les 10 autres princes d’Israël. En réalité, il est fort probable que les tensions entre ces hommes ont débuté dès le début de leur voyage.

Les uns voient le pays avec les yeux de la foi dans la promesse divine faite aux patriarches. Les autres s’empressent de comparer le pays qu’ils ont vu à ce qu’ils connaissaient déjà (de leur propre personne) ou encore du pays d’Égypte où ils avaient été esclaves.

Les uns considèrent le pays de la promesse comme l’ultime étape du projet spirituel de Dieu pour Israël. Les autres voient dans le pays exploré qu’une opportunité qui leur échappe, faute de moyens humains pour se l’approprier.

Et pourtant, les uns comme les autres ont suivi le même chemin, ont partagé les mêmes expériences et ont mangé les mêmes fruits du pays où coule le lait et le miel.

Sauf que les uns n’ont vu que le sol de la terre et ses impuretés morales, tandis que les autres ont vu au-delà de la terre, la réalisation de la promesse et la perspective sainte du monde à venir.

En définitive, les princes rebelles ont rejeté le projet de Dieu pour eux. Ils cherchaient une terre « sainte », sans comprendre que c’est leur foi dans le Dieu saint qui sanctifierait la terre qu’ils fouleraient.

À cause d’eux, le peuple est entrainé dans l’incrédulité et il murmure (une fois de plus) contre son conducteur Moché. Josué et Caleb tentent en vain de ramener le peuple à la foi. Ils remettent Dieu au centre, lui le vrai conducteur d’Israël.

Les arguments de Josué et Caleb sont à l’opposé de ce que décriaient les princes rebelles. Au bout du compte, la situation n’est pas simplement une contrariété de plus dans les pérégrinations du peuple. Celui-ci, en réalité, refuse d’entrer dans le projet spirituel de Dieu et les princes sont ici les instruments de cette rébellion. C’est pourquoi cet épisode est si grave et lourd de conséquences.

Le récit se prolonge par un étrange dialogue entre Dieu et Moché. Dans cette situation dramatique, le Messie d’Israël intercède en faveur du peuple afin qu’il ne périsse pas. Dieu avait-il réellement l’intention de détruire le peuple ?… Pas vraiment.

Dieu déclare son intention et ne révoque pas en soit son intention de juger son peuple. Il fait intervenir toutefois son serviteur et lui permet d’intercéder en sa faveur.

Certes, le peuple ne sera pas détruit en une seule fois, mais il périra (du moins cette génération adulte) lentement dans le désert.

On aurait pu penser qu’après un tel fiasco, Dieu renonce à conduire son peuple en Canaan. Ce n’est pas le cas. Dieu ne renonce pas à sa promesse.

Le jugement divin touche finalement toute une génération (à l’exception de Caleb et Josué), qui périra progressivement dans le désert, tandis que pour les plus jeunes, l’entrée dans le pays de la promesse est différée de 40 ans. Il y a dans cette manière de juger à la fois la nécessité de corriger en même temps que le besoin de faire grâce.

L’incrédulité avait-elle touché tout le peuple, à l’exception de ceux âgés de moins de 20 ans ?… Sans doute pas. Les critères de foi ne sauraient se confondre avec une limite d’âge, quelle qu’elle soit.

C’est là qu’il faut garder à l’esprit la pensée prophétique de Dieu relative à son peuple aussi bien qu’à la terre de la promesse, l’un et l’autre instrument de son témoignage envers les Nations.

Moché le perçoit bien dans son dialogue avec Dieu. Il pense avant tout au témoignage que pourrait laisser un jugement divin trop rapide que les Nations alentours interprèteraient de manière erronée.

La « condamnation » à errer dans le désert ne doit pas être par ailleurs perçue comme un jugement des pères porté par les fils. En réalité, les « pères » reconnus coupables vont mourir dans le désert. Les fils quant à eux vont cheminer dans celui-ci pendant 40 ans et entreront ensuite dans le pays que leurs pères avaient décrié.

Dieu dépeint, semble-t-il, la traversée du désert comme une « peine », or, nous savons qu’il en sera bien différemment. À moins que la peine en question soit de « voir » les « pères » tomber dans le désert suite à d’autres rébellions.

Le désert est comparativement au pays promis certainement encore moins reluisant, du moins du point de vue des israélites rebelles. Dieu accentue encore leur perception négative de ce désert qu’ils vont devoir traverser. Car il est clair qu’il n’y a pas de retour en Égypte possible.

Déclarer que les « enfants » vont en quelque sorte « paître » dans le désert pendant 40 ans est une affirmation des plus surprenantes. Mais nous savons que la vie dans le désert sera une excellente école spirituelle et que Dieu se chargera de tous les besoins des israélites (nourriture, vêtements…).

L’épreuve du désert ne sera pas une condamnation des fils pour les pères, mais un itinéraire initiatique, une école de foi pour les préparer à entrer dans le pays de la promesse.

La terre de la promesse est en elle-même une vision anticipée du monde à venir et le témoignage de l’action divine au travers de son peuple vers les nations. Certes, chacun devra rendre compte un jour devant Dieu de ses actions et de sa foi, le Juif, comme le non-juif parmi les Nations. Mais Israël, au travers de son histoire, ses échecs comme ses réussites, est un témoignage vivant et puissant de l’action de Dieu dans notre monde et le révélateur du projet de Dieu pour chaque homme.

Le fait qu’Israël, au seuil de la terre promise, ait été rebelle n’a pas rendu la promesse caduque. Dans la perspective prophétique, la fidélité de Dieu à sa promesse est une belle assurance donnée au peuple qui s’attend à lui.

Yéchoua’ en son temps n’a pas dérogé à ce principe. Le Salut est venu en premier lieu pour le peuple juif et au sein du peuple juif. Le fait qu’une génération (mais pas tous les individus) ait rejeté Yéchoua’ comme Messie ne signifie pas que tous soient perdus. Loin de là, l’intention divine était de faire connaître le Salut également aux Nations.

Le temps est proche – et il est déjà là – où une autre génération vient à reconnaître son Messie. La traversée du désert est bientôt achevée. La promesse devient réalité.

« Alors je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem un esprit de grâce et de supplication, et ils tourneront les regards vers moi, celui qu’ils ont percé. Ils pleureront sur lui comme on pleure sur un fils unique, ils pleureront amèrement sur lui comme on pleure sur un premier-né. » Zacharie 12.10.

Guy ATHIA

[i] Le commentaire de la parachah Chéla’h Lékha est disponible à la rédaction du Berger d’Israël sur CD audio.