Les deux boucs de Kippour (BI 586)

De toutes les fêtes du calendrier hébraïque, il en est une qui, dans sa pratique et pour un observateur extérieur, friserait peut-être un peu l’irrationnel. En effet, partout dans le monde, le jour de Kippour l’immense majorité du peuple juif choisit de se rendre à la synagogue pour un temps de jeûne et de prière de plusieurs heures. Pour qui a déjà vécu cette journée à la synagogue — ce qui est mon cas — ce n’est pas un jour particulièrement festif, riche en partage et en réjouissance. C’est même tout le contraire.

Dans la pratique, le siddour de Kippour est parcouru dans sa quasi-totalité — jusqu’à plusieurs centaines de pages — le plus souvent en hébreu. Certains luttent intérieurement contre le jeûne qu’ils se sont imposé depuis la veille. D’autres, fatigués, perdent de temps à autre le fil de ce qui est lu. Le jour de Kippour n’a donc vraiment rien pour attirer la foule. Et pourtant, il s’agit de la célébration juive la plus fréquentée de l’année. De quoi vraiment surprendre plus d’un.

 

Dans les faits, Kippour vient clore une période de temps appelée « jours redoutables ». Ceux-ci commencent avec Roch Hachana — la fête biblique de Yom Téroua’h et le son du Choffar — et s’achèvent avec le jour de Kippour. Au cours de ces journées, chaque Juif est appelé à entrer dans les dispositions qui le préparent à ce jour de Kippour où est « décidé » si son nom est inscrit dans le Livre de Vie de l’Éternel. Ainsi, selon la tradition, les mérites de chacun sont « pesés » en compensation des péchés commis au cours de l’année écoulée, voire pour certains courants du judaïsme, au cours de l’année à venir.

Ce qui marque assurément les esprits, c’est l’incertitude du « verdict ». Car celui qui « pèse » les esprits n’est autre que l’Éternel lui-même. Comment aurait-il pu en être autrement ?

Les cœurs sont serrés et pendant quelques jours, la joie s’en trouve amoindrie. Certains redoutent même qu’il ne leur arrive « malheur » avant le jour décisif de Kippour. Certes, tous les Juifs n’appréhendent pas Kippour avec autant de crainte, mais peu l’abordent avec légèreté.

 

L’aspiration personnelle à voir son nom inscrit dans le Livre de Vie n’explique pas tout et il y a un côté pour le moins irrationnel de voir converger vers les synagogues autant de Juifs le même jour. Yom Kippour n’est pas une fête nationale réunissant l’essentiel d’un peuple pour célébrer sa naissance ou son rétablissement. L’enjeu est tout autre et il convient de comprendre ce qui de manière presque subliminale amène toute la famille d’Israël à se placer comme un seul homme en toute humilité devant son Dieu.

 

Maintenant, si l’on prend la peine d’examiner en détail l’ordonnance biblique de Yom Kippour et le contexte dans lequel la sainte convocation est instituée, on se rend bien compte que l’objectif dépasse la seule confession personnelle des péchés de chaque israélite. Il y a assurément une dimension collective qui transcende le rendez-vous. Est-il réellement imaginable que la confession des péchés n’ait lieu qu’une seule journée dans l’année ? Dieu serait-il peu regardant presque toute une année et particulièrement vigilant pour entendre son peuple le jour de Kippour ? Dieu tiendrait-il véritablement une comptabilité scrupuleuse des péchés d’Israël et, tel un vérificateur aux comptes, examinerait-il tout en détail le jour de l’assemblée générale d’Israël ? Est-il vraiment sensé d’espérer avoir son nom inscrit dans le Livre de Vie au terme d’une seule journée, tandis que nous mènerions nos propres affaires le restant de l’année ?

C’est bien au jour le jour que nos consciences sont scrutées et qu’il convient de mettre nos vies en règle avec le créateur. Cependant, le jour de Kippour, il y a comme une solidarité familiale qui s’exerce. Chacun vient à Dieu comme une étincelle singulière de la conscience de tout le peuple. Chacun s’exprime en définitive moins pour lui-même que pour le Salut de tout Israël. Peut-être bien que ce jour de Kippour, le Roua’h Hakodech — l’Esprit-Saint — agit pour rendre témoignage à la conscience d’Israël devant le monde entier. Existe-t-il d’ailleurs un autre peuple de par le monde qui ait conscience de ses limites et de ses lacunes morales au point de les confesser collectivement au Seigneur chaque année ? Le premier enseignement de Kippour envers les nations n’est-il pas justement une leçon d’humilité ?

De son côté, le monde chrétien a tant individualisé la dimension du salut que le sens du Kippour aujourd’hui lui échappe quelque peu.

Cela étant, si Kippour parle encore aujourd’hui à la conscience collective du peuple d’Israël, Kippour nous place d’une certaine manière au plus près de la présence de Dieu et parle de celui qui a ouvert le chemin jusque dans sa sainte présence. Car c’est moins d’un péché en particulier qu’il est question que d’une conscience purifiée une fois pour toutes par celui qui a inauguré avec son propre sang le chemin qui mène à Dieu. En effet, Kippour n’est pas une porte qui se ferme, une étroite fenêtre de tir, une cible inaccessible, mais c’est plutôt la perspective d’une porte qui reste ouverte et qui nous mène droit au Père. Le jour de Kippour, nous intercédons moins pour nous-mêmes que pour tout Israël, afin que tous connaissent le Messie et lui rendent gloire, après l’avoir laissé pour mort. Car c’est bien cela que rapporte le prophète Isaïe au chapitre 53 que nos maîtres reconnaissent comme une prophétie messianique :

Qui a cru à ce qui nous était annoncé ? Qui a reconnu le bras de l’Éternel ?

Il s’est élevé devant lui comme une faible plante, Comme un rejeton qui sort d’une terre desséchée ; Il n’avait ni beauté, ni éclat pour attirer nos regards, Et son aspect n’avait rien pour nous plaire.

Méprisé et abandonné des hommes, Homme de douleur et habitué à la souffrance, Semblable à celui dont on détourne le visage, Nous l’avons dédaigné, nous n’avons fait de lui aucun cas.

Cependant, ce sont nos souffrances qu’il a portées, C’est de nos douleurs qu’il s’est chargé ; Et nous l’avons considéré comme puni, Frappé de Dieu, et humilié.

Mais il était blessé pour nos péchés, Brisé pour nos iniquités ; Le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui, Et c’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris.

Nous étions tous errants comme des brebis, Chacun suivait sa propre voie ; Et l’Éternel a fait retomber sur lui l’iniquité de nous tous.

 

Nous n’avons fait aucun cas de celui qui était venu pour nous racheter et qui finalement est mort pour expier nos péchés en versant son sang.

 

Et ce qui frappe les esprits aujourd’hui au 21ème siècle en lisant la Torah, c’est l’omniprésence et l’indispensable sang versé pour trouver la paix et espérer voir son nom inscrit dans le Livre de Vie. Or pour les israélites d’aujourd’hui, comme pour la presque totalité de nos contemporains, ce qui dérange les consciences, c’est justement le sang versé. La répétition des sacrifices était déjà en elle-même un rappel constant de notre culpabilité et la nécessité qu’un innocent paye de sa vie pour nous coupables, quand bien même il s’agissait d’un agneau ou d’un bouc. Le sang allait-il continuer à couler à flots sans discontinuer ?… La destruction du Temple et l’arrêt des sacrifices signifiaient-ils que Dieu en avait assez de « boire » le sang des taureaux ?… Et fallait-il que ce soit les Romains qui se chargent de le faire comprendre aux sages d’Israël en usant de violence pour empêcher la poursuite des sacrifices ?…

Même si depuis deux mille ans, il n’est plus sacrifié d’animal sur l’autel, cela ne signifie pas que Dieu ait renoncé au sang versé pour effacer la faute de son peuple. D’autant plus que ce qui demeure au cœur de la célébration de Kippour, c’est justement le sang versé.

Car ne nous y trompons pas, si nos sages ont depuis longtemps transformé et adapté les rites de Kippour en faisant abstraction des sacrifices, sans le sang versé, il n’y a pas de pardon. Et s’il n’y a plus eu de sacrifice depuis si longtemps, cela ne peut signifier qu’une seule chose. Dieu a agréé le seul sacrifice qui satisfait pleinement sa justice une fois pour toutes.

Ainsi donc, que personne ne s’imagine que Dieu s’est lassé de pardonner à son peuple. Le sang du Machia’h a versé une fois pour toutes et il a été porté au-delà du voile pour nous maintenir la « porte » ouverte de manière permanente. Celui qui vient à Dieu au bénéfice de ce sang ne mourra pas quand il verra Dieu face à face au grand Jour.

 

Chaque année, Kippour interpelle nos consciences et vient rappeler que le sang versé est toujours nécessaire, mais qu’il a coulé une fois pour toutes afin de nous assurer une justice parfaite et un accès ouvert auprès du Père.

 

L’ordonnance biblique de Yom Kippour laisse pourtant le lecteur de la Bible et le croyant en général plutôt perplexe. Il est déjà fort peu aisé de faire la part des choses entre les différents types de sacrifices, leur signification et l’implication spirituelle qu’ils représentent pour celui qui vient au Michkan (Tabernacle) ou plus tard au Beth Hamikdach (Temple) pour les offrir. Bien des subtilités nous échappent encore aujourd’hui, alors qu’il n’y a plus de Temple et de sacrifices depuis des siècles à Jérusalem.

 

Le principe général est cependant celui-ci : pour chaque péché, il doit y avoir réparation par le sang versé, soit celui d’un animal (voir lévitique 1 et suivants), soit celui du coupable dans un certain nombre de cas spécifiés (notamment lorsqu’un homme commet volontairement un péché). Il s’agit en définitive d’une expiation faite par la mort d’un animal pour l’individu coupable. On rend ainsi Dieu « propice » ou favorable en effaçant la culpabilité du pécheur (lévitiques 4 : 20 ; 17 : 11 ; Héb. 9 : 22). La purification et la sanctification d’un homme, du peuple dans son ensemble ou même du territoire d’Eretz Israël, constituent le but ultime visé par ces ordonnances sacrificielles.

 

Pour autant, les ordonnances relatives aux deux boucs de Yom Kippour font en quelque sorte exception, dans la mesure où l’un des boucs désigné pour faire l’expiation n’est pas mis à mort ni sacrifié sur l’autel.

 

Lévitiques 16 (voir aussi Exode 30 : 10).

Une fois par an, Aaron fera l’expiation sur les cornes de l’autel : avec le sang de la victime expiatoire pour le péché, il y sera fait l’expiation une fois chaque année dans (toutes) vos générations. Ce sera une chose très sainte, devant l’Éternel.

Il recevra de la communauté des israélites deux boucs en sacrifice pour le péché et un bélier pour l’holocauste.

Aaron offrira son taureau pour le péché et fera l’expiation pour lui et pour sa famille.

Il prendra les deux boucs et les placera devant l’Éternel, à l’entrée de la tente de la Rencontre.

Aaron jettera le sort sur les deux boucs, un sort pour l’Éternel et un sort pour Azazel.

Aaron offrira le bouc sur lequel est tombé le sort pour l’Éternel et en fera un sacrifice pour le péché.

Et le bouc sur lequel est tombé le sort pour Azazel sera placé vivant devant l’Éternel, pour servir à l’expiation et pour être chassé dans le désert pour Azazel.

 

Ce sera pour vous une prescription perpétuelle, afin qu’une fois chaque année l’expiation de tous les péchés se fasse pour les israélites. On fit ce que l’Éternel avait ordonné à Moïse.

 

Au fil de l’année, pour chaque péché involontairement commis par un israélite, s’appliquaient un rituel et un sacrifice correspondant qui devait être accompli sans délai. Le sang d’un animal était versé. Ici, l’expiation de toutes les fautes de l’année semble devoir se réaliser en un seul jour unique, celui du 10 du mois de Tichri. Pourquoi donc cela ?… N’y a-t-il pas en quelque sorte la répétition inutile d’une même démarche ?… Le rituel s’est cependant perpétué ainsi jusqu’à la destruction du Temple en 70 par les Romains. Depuis lors, le cérémonial de Kippour a pris une forme différente. La fin des sacrifices ne permettant plus d’observer l’ordonnance décrite dans le lévitique. La confession des péchés est certes toujours aujourd’hui au cœur de la pensée du Juif qui s’approche de Dieu. Cependant, il n’y a plus de sacrifice sanglant. L’observation des Mitsvots (commandements et lois diverses), la recherche d’une sainteté et d’une pureté morale ont remplacé le sang présenté devant l’arche dans le lieu « Très-Saint». Il n’empêche qu’il n’y a pas formellement d’explication à cette confession annuelle des péchés et à l’expiation unique en un seul jour de toutes les fautes de l’année et pour tous les israélites.

Le rituel de Kippour a cependant de particulier que l’expiation est faite par le seul souverain sacrificateur pour tout le peuple. On peut comprendre en perspective l’importance d’un côté du peuple qui dans son ensemble s’approche de Dieu, de l’autre du souverain sacrificateur qui fait office d’intermédiaire et, d’une certaine façon, de signe indiquant que l’expiation est bien agréée par Dieu en ce que celui-ci restait vivant.

 

L’autre étrangeté plus étonnante encore que la première est ce choix de deux boucs. L’un est sacrifié pour servir d’expiation devant l’Éternel, l’autre est placé vivant devant l’Éternel pour faire également l’expiation, mais est lâché ensuite dans le désert pour un mystérieux personnage du nom d’Azazel. Alors qu’en toute autre circonstance, le sang de l’animal est versé pour faire l’expiation — le sang étant la vie de l’animal en substitution de celle du coupable — ici, l’animal est lâché vivant dans le désert, chargé de tous les péchés du peuple. Que comprendre alors de cette situation insolite ?…

 

Au début du chapitre 10 du lévitique, nous apprenons les circonstances qui ont précédé cette ordonnance. Deux fils d’Aaron viennent de mourir. Ils s’étaient approchés de Dieu de telle manière qu’ils avaient attiré le jugement de Dieu et sont morts donc brutalement sous les yeux des enfants d’Israël. Le rôle des sacrificateurs, et notamment du premier d’entre eux, est d’être en quelque sorte des intermédiaires entre Dieu et le peuple. La sainteté de Dieu impose une rigueur sans faille de la part du souverain sacrificateur qui engage sa vie en entrant dans le sanctuaire. Il tient un rôle clé pour sanctifier le peuple devant le Seigneur.

Les lévites et responsables religieux avaient très tôt discerné que cette succession de sacrifices d’animaux n’était pas en soi une finalité, mais une situation transitoire avant l’instauration d’un régime nouveau où, d’une part, l’expiation serait une fois pour toutes réalisée — le pardon réellement accompli — de l’autre une relation nouvelle et sans limites dans le temps serait établie entre Dieu et ses enfants. Les prophètes y font souvent allusion, notamment Jérémie dans son emblématique chapitre sur la Nouvelle Alliance que Dieu établit avec son peuple (Jérémie 31).

 

Yom Kippour représente alors d’une certaine manière l’attente et l’espérance messianique de tout le peuple d’Israël. L’attente de la venue d’un nouveau souverain sacrificateur capable d’accomplir l’expiation par excellence, une fois pour toutes. Un souverain sacrificateur parfaitement agréé par Dieu. Un sacrifice expiatoire d’une valeur éternelle, dont le sang suffit à la purification de tout le peuple, sans limites dans le temps et qui vienne mettre un terme aux sacrifices répétés chaque jour.

 

La plupart des Juifs étaient bien conscients que le sang des boucs n’était que l’expression visible de réalités spirituelles.

Dieu est seul à pouvoir réellement purifier les consciences et réellement laver de la culpabilité les croyants qui s’approchent de lui.

 

Les Juifs, à l’époque du second Temple, avaient une manière très particulière pour savoir si leurs péchés étaient pardonnés en ce jour de Yom Kippour. Le fait que le souverain sacrificateur reste vivant après avoir offert le sang dans le lieu « Très Saint » était déjà en soi une preuve indéniable. Cela dit, une tradition ancienne nous est rapportée par le Talmud de Babylone (Yoma Chapitre 39b).

 

Au jour de Yom Kippour, il y avait une tradition qui consistait à attacher un ruban de laine rouge à la tête du bouc qui devait être lâché. Quand le ruban devenait blanc, c’était le signe que Dieu pardonnait les péchés d’Israël.

Il y a une affirmation dans le Talmud qui dit qu’environ 40 ans avant la destruction du second Temple (soit à l’époque du ministère et de la mort de Yéchoua’), le ruban de laine rouge n’est pas devenu blanc.

La même déclaration talmudique nous informe qu’au même moment, les portes du Temple se sont ouvertes d’elles-mêmes.

 

Les anciens rabbins et maîtres juifs croyaient que ces évènements étonnants étaient les signes que les péchés d’Israël ne seraient plus désormais pardonnés et que le Temple serait bientôt détruit. Que c’était en quelque sorte la fin de l’économie lévitique !

Ces indications n’ont pas été retenues en général, mais elles sont présentes dans le Talmud.

 

Nous comprenons ces signes comme autant d’éléments venant de Dieu, confirmés par ailleurs par l’épitre aux Hébreux (9 : 12), que le système lévitique d’expiation des péchés n’a plus cours dès lors que le sacrifice de Yéchoua’ — Jésus — a une fois pour toutes accompli l’expiation et le pardon des péchés.

 

Ce commentaire talmudique nous conduit à comprendre un peu plus le sens de Kippour. La confession des péchés est en général perçue comme un acte personnel qui est avant tout une démarche privée. Et cela est indiscutablement vrai. Cependant, la confession des fautes le jour de Kippour est peut-être à comprendre comme une action plus collective, une démarche solidaire de tout le peuple, un peu comme ce qu’ont pu faire certains prophètes et hommes de Dieu tels Néhémie ou Daniel. Le signe du pardon de Dieu ainsi évoqué est alors davantage à comprendre comme l’accueil favorable de Dieu envers son peuple.

 

C’est sans doute une singularité du peuple d’Israël que d’exprimer, au fil des siècles de son existence, et bien au-delà des divergences d’opinion et de foi de chacun, une solidarité jusque dans une confession commune des péchés en ce jour solennel. Car il ne s’agit pas de juxtaposer les confessions individuelles de chaque membre du peuple pour tous les péchés de l’année. Kippour est l’expression de tout un peuple qui s’approche ensemble de Dieu au travers de son souverain sacrificateur.

 

Reste le mystère des deux boucs. — l’un pour l’Éternel, l’autre pour Azazel. Qu’ont-ils de commun ? D’abord, ces deux boucs sont identiques. Ensuite, ils sont solennellement tirés au sort, l’un pour l’Éternel, l’autre pour Azazel. Les deux sont présentés devant l’Éternel pour faire l’expiation des péchés. Le souverain sacrificateur impose les mains sur la tête du bouc et confesse tous les péchés du peuple avant de relâcher l’animal dans une contrée déserte.

 

Il n’est pas facile de comprendre le sens de ce passage. Plusieurs hypothèses ont été avancées au sujet du terme Azazel.

  • La tradition juive a en général assigné à ce terme le nom d’un lieu désert, un mont escarpé duquel était précipité le bouc. Ibn Ezra situe même cette montagne quelque part dans le Sinaï. Pour autant, le verset évoque bien une expiation faite « pour » Azazel. La désignation d’un lieu semble donc un peu limitative.
  • Certaines traditions historiques relient Azazel à un ou plusieurs personnages démoniaques, sinon à Satan lui-même. Des références à des noms proches de démons et anges déchus se retrouvent dans le livre d’Hénoc ou l’Apocalypse d’Abraham. Ce sont ces références qui ont fait foisonner l’imagerie associant Satan à un bouc démoniaque. Cela dit, ces propositions semblent peu crédibles. En effet, on imagine mal Dieu ou Moïse suggérer d’offrir un bouc en sacrifice expiatoire à un démon, même si les deux termes en hébreu sont semblables (saïrim). D’autres ont même suggéré que l’expiation était faite en faveur de Satan ou des anges déchus. Le chapitre suivant (lévitiques 17) met d’ailleurs en garde les israélites contre l’offrande faite à des démons.

 

La racine du mot Azazel suggère à la fois la notion de force — oz — et le nom de Dieu — el — d’où la traduction possible par l’expression « Dieu a rendu fort ». Il faut toutefois reconnaître que l’interprétation du mot Azazel reste encore aujourd’hui un mystère entier.

 

Les deux boucs ont cependant une fonction identique. Ils portent symboliquement les péchés de tout Israël. Le sang de l’un fait l’expiation pour tout le peuple devant l’Éternel, tandis que l’autre agit comme un miroir et renvoie dans le désert, loin d’Israël, les péchés expiés.

 

Il convient de relever que le rituel de Kippour est d’abord un signe prophétique. Il prépare et annonce la venue d’un souverain sacrificateur qui fera l’expiation d’une manière unique et définitive. Ce sacrificateur est venu en la personne du Machiah’ Yéchoua’ — le Messie Jésus. Cela nous est rappelé en particulier par l’auteur de l’épitre aux Hébreux (Hébreux 7:27 ; 9 : 7-12).

 

[Yéchoua’] n’a pas besoin, comme les souverains sacrificateurs, d’offrir chaque jour des sacrifices, d’abord pour ses propres péchés, et ensuite pour ceux du peuple. Cela, il l’a fait une fois pour toutes, en s’offrant lui-même.

 

Mais, dans la seconde, seul le souverain sacrificateur (pénètre), une fois par an, non sans y présenter du sang pour lui-même et pour les fautes du peuple.

 

… et il est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire, non avec le sang des boucs et des veaux, mais avec son propre sang. C’est ainsi qu’il (nous) a obtenu une rédemption éternelle.

 

C’est donc en s’offrant lui-même que Yéchoua’, comme souverain sacrificateur, a réalisé l’expiation qui, une fois pour toutes, purifie les consciences de tous ceux qui s’approchent de lui avec foi.

 

Comme déjà évoqué plus haut, au-delà du signe prophétique, il y a le signe visible du ruban devenu blanc. Or, seul le sang versé a la capacité de rendre pur ce qui ne l’était pas. Le témoignage du Talmud doit nous faire réfléchir et comprendre avec beaucoup d’autres Juifs que la venue du Messie Yéchoua’, sa mort et sa résurrection constituent la seule assurance que nos péchés ont été couverts (kappara).

 

Le bouc lâché vivant dans le désert avec les péchés du peuple sert aussi de témoignage auprès de quiconque le rencontrerait — et peut-être aussi de Satan lui-même — que c’est Dieu qui a accompli l’expiation pour le peuple. Les péchés ont été ainsi ôtés de la présence du peuple et même écartés de la présence de Dieu. Loin de la vue, ils ne peuvent plus servir d’accusation envers le peuple.

 

Sur ce point, il n’est peut-être pas absurde de comparer ce rituel unique à un autre, tout aussi énigmatique, dans la paracha Métsorâle processus de purification du métsorâ (le lépreux).

Ce qui est certain, c’est qu’à l’instar de Kippour, le sacrificateur joue un rôle essentiel dans ce processus de purification. Il va faire office d’intercesseur devant Dieu, mais aussi devant la communauté d’Israël, afin que l’homme guéri retrouve sa place et sa dignité.

Il va se construire d’une certaine façon une intimité entre le métsorâ et le sacrificateur.

 

Le jour de la purification du métsorâ, le sacrificateur va ordonner que l’on prenne pour le métsorâ le nécessaire au rituel de purification. On peut supposer que dans son humiliation, il sera devenu très pauvre et ne disposera pas de ce minimum. On peut aussi imaginer que la grâce offerte à l’homme qui se purifie consiste à pourvoir même à ces éléments nécessaires à sa purification.

Quels sont ces éléments ?

  • Deux oiseaux purs et vivants.
  • Du bois de cèdre.
  • De l’hysope.
  • De l’écarlate (probablement un cordon de laine teinte).

Un des oiseaux est égorgé sur un bassin de terre cuite et dans de l’eau vive (probablement de l’eau d’un puits ou d’une rivière).

L’oiseau vivant est saisi avec le bois de cèdre, l’hysope et le fil écarlate. Le tout est trempé dans le bassin d’eau vive et du sang de l’oiseau.

Le sacrificateur en fait l’aspersion 7 fois sur l’homme qui se purifie, puis l’oiseau vivant est lâché dans la nature. L’homme est déclaré PUR.

 

Toute cette action est bien entendue riche de nombreux symboles et ressemble d’une certaine façon au sacrifice de Kippour.

La plupart du temps, les sacrifices sont immolés puis brûlés sur l’autel des holocaustes. Le sang est répandu sur le pourtour de l’autel ou, lors de Kippour, présenté au-delà du voile.

 

Dans le cas présent, l’oiseau est immolé au-dessus d’une eau « courante », c’est-à-dire constamment en mouvement ou renouvelée, comme dans une rivière.

 

L’eau est symbole de purification. Elle est aussi le symbole de la Parole de Dieu. Ici, elle est associée au sang de l’animal sacrifié et servira à purifier le métsorâ. Mais il y a plus que cela. L’eau et le sang sont témoins ensemble de ce que l’homme est déclaré PUR. L’eau et le sang seront aspergés sur l’homme à 7 reprises.

Le chiffre 7 symbolise une réalité accomplie et parfaite, à l’instar de toute la création divine réalisée en 7 jours.

 

L’oiseau vivant sera aussi aspergé de l’eau et du sang et sera ensuite lâché dans le ciel.

On peut imaginer que l’oiseau maculé d’eau et de sang en s’envolant témoigne partout où il passe de la réalité de la purification de l’individu.

 

Il est comme le bouc de Kippour lâché vivant dans le désert. Il témoigne de la réalité du pardon des péchés opéré par Dieu. Un témoignage devant les hommes, comme devant l’adversaire, le diable ou Azazel.

 

Il est à noter que le passage de Lévitique 16 se trouve dans la Paracha qui est lue juste avant Pessah’. Quoi de plus naturel que de relier le rituel prophétique de Kippour avec la rédemption opérée par Dieu à Pessah’.

 

Il serait trop long d’évoquer également la place qu’occupe certainement Kippour dans le calendrier prophétique.

 

Les commentateurs de la Torah reconnaissent que le sacrifice sanglant est le moyen par excellence donné par Dieu pour accomplir l’expiation des péchés, sans autre alternative. Le pardon n’est obtenu que par le sang versé.

 

Pourtant, en ce jour de Kippour, nombre de Juifs confessent leurs péchés et « espèrent » le pardon. L’ont-ils vraiment obtenu ?… En vertu de quels mérites ?… Rien n’est moins sûr. À la fin de cette journée de jeûne et de prière, personne n’est en mesure d’affirmer avec certitude que ses péchés sont vraiment pardonnés.

 

Sachons alors reconnaître qu’il y a bientôt 2000 ans, le temps de Dieu est venu et qu’il a envoyé son Machiah’ Yéchoua’, le Fils de Dieu, pour accomplir une parfaite Kappara, la couverture de toutes nos fautes. Il a ouvert pour nous, de manière définitive, l’accès au lieu « Très-Saint » afin que rien ne puisse plus nous séparer du Dieu vivant et vrai, le Dieu de nos pères.

 

Guy ATHIA