Sur les pas du Messie… (1)

(Premier article d’une série publiée dans le Berger d’Israël n°589)

Il en est beaucoup parmi nos contemporains qui lisent la Bible comme s’il s’agissait d’un livre d’histoires, de récits anciens chargés de morale, d’éthique ou encore d’un code de lois pour bien se comporter devant Dieu et devant les hommes.

Or pour le croyant, chrétien comme juif, la Bible est bien plus que cela et sa lecture doit comporter une recherche constante de l’intention de Dieu, des premiers versets de la Genèse aux derniers du dernier des prophètes.

Dans l’Évangile de Luc (18.31-34), nous lisons ceci :

Yéchoua’ (Jésus) prit les douze (talmidim, disciples) auprès de lui, et leur dit : Voici, nous montons à Jérusalem, et tout ce qui a été écrit par les prophètes au sujet du Fils de l’homme s’accomplira. 32 Car il sera livré aux païens ; on se moquera de lui, on l’outragera, on crachera sur lui, 33et, après l’avoir battu de verges, on le fera mourir ; et le troisième jour, il ressuscitera. 34 Mais ils ne comprirent rien à cela ; c’était pour eux un langage caché, des paroles dont ils ne saisissaient pas le sens.

Dans un autre Évangile, le même constat est fait, mais par la foule elle-même dans sa réponse à Yéchoua’ :Jean 12.31 et suivants :

31Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant, le prince de ce monde sera jeté dehors. 32 Et moi, quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi. 33 En parlant ainsi, il indiquait de quelle mort il devait mourir. — 34La foule lui répondit : nous avons appris par la loi que le Messie demeure éternellement ; comment donc dis-tu : il faut que le Fils de l’homme soit élevé ? Qui est ce Fils de l’homme ?

Étrange réponse de la foule qui n’affirme rien de moins que le Messie annoncé par la Loi, et dont ils attendent la venue, demeure éternellement. D’un côté, ils savent quelque chose d’extrêmement important sur le Messie ; de l’autre, ils ignorent qui il est et questionnent Yéchoua’ à ce sujet.

Qu’apprenons-nous d’autre de ces quelques versets ?…

  1. Premièrement : Le Fils de l’Homme, c’est-à-dire dans ce langage, le Messie lui-même, doit être livré, souffrir jusqu’à mourir et ressusciter au terme de trois jours. Dans la perspective chrétienne, ces affirmations sont des points clés pour comprendre le Salut et reconnaitre le Messie. Pour la plupart, hier et aujourd’hui encore, ces affirmations restent une énigme, un sujet tabou, inacceptable même.
  2. Deuxièmement : Les disciples de Yéchoua’, qui sont des Juifs qui accompagnent Yéchoua’ et suivent son enseignement depuis longtemps, ne comprennent pas ces paroles, pourtant essentielles dans la mission messianique de Yéchoua’. Il est même précisé que ce langage leur était caché, du moins à ce stade-là.
  3. Enfin, troisièmement, la venue du Fils de l’Homme, du Messie sauveur, sa mission, sa vie et sa mort et jusqu’à sa résurrection doivent s’accomplir selon ce qui a été annoncé par les Écritures, la Torah et les prophètes depuis des siècles. 

S’il y a une intention divine qui transcende toute la Torah, de la Genèse au dernier des prophètes avant la venue du Messie, c’est bien de révéler la manière dont Dieu avait prévu de sauver l’humanité et de préparer le chemin pour l’avènement de son Messie.

C’est pourquoi, il convient de scruter toutes les Écritures afin de discerner le profil de ce Messie venant de Dieu, sachant bien que l’Adversaire de nos âmes fera tout pour nous masquer, et même déformer, les traits de celui que Dieu a envoyé pour nous sauver.

L’évangéliste Jean conclut son Évangile en soulignant l’importance de l’Écriture et de fonder sa foi sur la solidité des promesses divines qui se sont accomplies ou qui s’accomplissent dans le temps présent. Sa conclusion révèle son intention qui est également la vocation de toute l’Écriture. Voyons plutôt.

Jean 20

28 Thomas lui répondit : Mon Seigneur et mon Dieu ! Yéchoua’ lui dit : 29 Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru ! 30 Yéchoua’ a fait encore, en présence de ses disciples, beaucoup d’autres miracles, qui ne sont pas écrits dans ce livre. 31 Mais ces choses ont été écrites afin que vous croyiez que Yéchoua’ est le Messie, le Fils de Dieu, et qu’en croyant vous ayez la vie en son nom.

Le récit biblique débute à l’aube de l’humanité et c’est dès les premières pages de la Torah que Dieu sème les premières miettes qui doivent nous aider à cheminer pour aboutir à découvrir le profil du Messie.

Le chrétien sera peut-être tenté de réunir les pièces du « puzzle » avec en mémoire ce qu’il sait de l’Évangile ou de la doctrine plus ou moins déformante qu’il a apprise. Le Juif, plus ou moins imprégné de Torah lue et relue ou encore simplement guidé par ses racines, sera peut-être dans l’expectative, curieux autant que craintif de ce qu’il pourrait découvrir. D’autres enfin commenceront sans a priori, sinon ceux des préjugés les plus courants véhiculés par notre monde contemporain.

Quoi qu’il en soit, que la lecture des textes de la Torah et des prophètes nous conduise en toute honnêteté à découvrir l’intention de Dieu au sujet de son Messie. Puisse son Esprit, son Roua’h Hakodech, nous guider pas à pas, non seulement comme par des miettes disséminées ici et là, mais en nous nourrissant de celles-ci pour nous ouvrir les yeux.

Genèse 3.14-15

14 L’Éternel Dieu dit au serpent : Puisque tu as fait cela, tu seras maudit entre tout le bétail et entre tous les animaux des champs, tu marcheras sur ton ventre, et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie. 15 Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité : celle-ci t’écrasera la tête, et tu lui blesseras le talon.

Cette première parole prophétique, au tout début de la révélation biblique, est pour le moins intrigante. Le lecteur est partagé entre une lecture littérale et une lecture historique, un récit figuratif ou allégorique, ou encore peut-être une imbrication des deux.

On ne peut s’empêcher de se demander les raisons de certains détails sémantiques ou au contraire de l’absence de précisions dont on aurait souhaité la mention.

Les paroles divines sont ici toutefois comme des poteaux indicateurs orientant le lecteur de la Bible pour découvrir l’identité du rédempteur, le Messie, celui qui doit rétablir la relation rompue. Il n’y a donc pas de parole superflue ou qui manquerait à notre compréhension du message de Dieu pour l’humanité. 

Dès l’instant de la chute de l’Homme[1], le plan rédempteur de Dieu se met en marche[2]. La parole adressée ici au serpent semble être bien plus qu’une simple condamnation du corrupteur de l’humanité.

Après la création, le jardin d’Éden et la désobéissance du premier couple humain, bien des questions restent en suspens. Certes, le serpent — que tous les commentateurs identifient au diable — est bien le séducteur, l’image du trompeur qui entraine dans la chute et la séparation Ève et son conjoint. Mais la nature du diable n’est bien évidemment pas animale. D’après les commentateurs juifs, ce serpent est l’image d’un être céleste qui originellement devait être au service de l’homme. Sa déchéance et son aspiration à supplanter Dieu dans son rapport à l’homme l’ont conduit à séduire Adam et Ève. Si son stratagème est essentiellement fait de paroles trompeuses, il n’est pas exclu qu’il « s’habille » en plus d’une apparence tout aussi séductrice.

La spontanéité avec laquelle Ève répond au serpent suppose déjà une confiance et une relation peut-être déjà préexistantes à l’épisode de la chute. À moins que l’innocence de l’homme et de la femme soit de nature à faciliter l’accès à cette conversation. À aucun moment cependant, l’homme ne s’était adressé verbalement au genre animal. La conversation avec le serpent peut donc surprendre, à moins que celui-ci se distingue du reste du règne animal en étant en quelque sorte une incarnation du diable dans la peau d’un animal, ici un serpent. Son apparence n’a en tout cas rien d’effrayant avant la chute. Ce n’est que dans sa condamnation que son image symbolique devient repoussante.

Si Dieu engage un échange avec Adam et Ève, il n’en est rien en ce qui concerne le serpent diabolique. Ce dernier n’est pas de nature à se repentir. Son action est préméditée et il est quasi certain que celui-ci est déjà l’ennemi de Dieu, bien avant cette conversation.

Le serpent voit la sentence s’exécuter d’abord dans l’imagerie animale. Le serpent séducteur se voit enlaidi, privé de ses attributs susceptibles de le faire asseoir à hauteur d’homme (sans mains et sans jambes ?). Il rampe sur le sol et en est réduit à manger toute sa vie la poussière de la terre.

Le midrash indique que la privation de membres empêche le serpent de poursuivre sa mission en servant l’homme. On peut aussi comprendre que c’est une autre manière de marquer une limitation des pouvoirs du serpent — le diable — sur le genre humain.

La poussière servant de nourriture au serpent est pour bien des commentateurs juifs une sorte de rupture avec le plaisir qu’il pouvait trouver en mangeant jusque-là les fruits du jardin. On serait tenté d’ajouter que la tentation par le plaisir se trouve ici anéantie par l’odeur de mort qu’inspire la poussière. En effet, celle-ci insipide, mangée par le serpent fait écho à la condition de poussière à laquelle l’homme est destiné à revenir au jour de sa mort.

Une mort qui pour l’homme, comme pour le serpent, est un fait nouveau qui ne peut être compris qu’à travers leur présence ou non dans le jardin, le Gan Éden, in fine dans la présence de Dieu.

Mais alors, comment donc le diable, le serpent séducteur, a-t-il pu se retrouver là au milieu du jardin pour séduire Adam et Ève ?…

Difficile de répondre sauf à imaginer le diable jouissant encore d’une certaine liberté de mouvement et d’action, liberté qui prendra fin après l’épisode de la chute.

La prophétie, quant à elle, est marquée par le mystère et se heurte à une réalité qui traverse pourtant tout le récit biblique. La descendance est toujours énoncée à partir d’une généalogie paternelle, une transmission du nom du père vers le fils. Or ici, c’est de la postérité de la femme que doit surgir le salut. On se projette dans un avenir indéterminé où un descendant de l’humanité, et même sans doute d’une femme en particulier, doit combattre une descendance du diable.

Le Messie humain doit écraser et vaincre son adversaire diabolique, mais celui-ci doit lui mordre le talon. L’image du serpent, de son action et de sa fin, ou encore la blessure — a priori mortelle — infligée au Messie, laisse perplexe.

La volonté du Seigneur est cependant d’annoncer une issue favorable après la chute du premier couple humain. À nous d’en conclure que le serpent sera définitivement vaincu par l’action d’un Messie dont la singularité sera d’avoir une ascendance marquée par la mère.

Il faudra toutefois attendre le signe donné par le prophète Isaïe (7.14), pour que le lecteur de la Bible saisisse pleinement la nature de cette descendance par la femme.

Pour autant, Adam et Ève, qui n’avaient aucune autre connaissance de la Torah, des prophètes ou de ce qui allait advenir, espéraient bien voir la parole de Dieu s’accomplir aussi vite que possible.

On trouve un indice fort intéressant de cette espérance au chapitre 4.1 avec la naissance de Caïn. Kayïn, en hébreu, a la même racine que le verbe acquérir. La phrase prononcée par Ève à la naissance de son premier fils — kaniti ich êt Adonaï — est diversement traduite et pose une difficulté. Dans la version ZK (traduction juive), nous avons l’expression suivante : « J’ai fait naître un homme conjointement avec l’Éternel ». Mais les versions chrétiennes rendent la phrase différemment, s’appuyant en partie sur la Septante : « … avec l’aide de l’Éternel. » (Colombe) ; « … grâce au Seigneur. » (BFC) ; « … avec l’aide du Seigneur. » (Parole de Vie).

Ceci étant, la traduction la plus proche de l’hébreu laisse entendre une conception « avec » Dieu, sens premier de la préposition « êt ». La Septante, du reste, peut se traduire par l’expression « conçu “par” Dieu ». Toutes ces tergiversations dans la traduction de la locution « êt » soulignent l’embarras des traducteurs.

Notons au passage que les options retenues par bien des rabbanim viennent renforcer la gêne des traducteurs.

Le Targum de Jérusalem (en araméen – 6ième siècle ou plus tard) nous donne : « J’ai conçu un homme : l’Ange de Jéhova ». 

Le Targum Pseudo-Jonathan (6ième siècle ou plus tard) rend l’expression par: « J’ai conçu pour un homme, l’Ange du Seigneur ».

Enfin, le Targum d’Onkélos (2ième siècle) abonde dans le même sens et comprend l’expression d’Ève comme l’attente d’une postérité qui viendrait d’une naissance surnaturelle.

Quoi qu’il en soit, Ève a vite déchanté et s’est bien rendu compte que ce premier fils n’était pas la postérité promise. Elle appellera son second fils « Hével », qui signifie nuée ou vanité.

La Peshitta (version syriaque et vulgarisée de la Torah – 2ième siècle) oriente le lecteur vers une direction plutôt surprenante : « J’ai enfanté un homme : le Seigneur ».

Le fameux rabbin Saadia Gaôn nuance à peine avec l’expression : « né à partir du Seigneur et avec le Seigneur ».

Enfin, Rachi s’en tient à : « avec le Seigneur ».

Quoique puisse être la littéralité de la traduction, l’exclamation d’Ève au sujet de son fils met en évidence une interprétation de la parole divine qui laisse songeur. La mention de l’avènement d’une descendance par la femme renforce l’idée d’une naissance surnaturelle du Messie à venir.

Ce Messie est de plus marqué par son humanité autant que par sa qualité divine, sans qu’à ce stade on sache vraiment comment. Son action victorieuse, autant que sa blessure mortelle, marque la fin du serpent, image du diable qui depuis la chute connaît l’issue qui lui est réservée.

L’interprétation chrétienne penche naturellement pour une lecture messianique de ce texte, voyant dans la parole divine l’annonce de la naissance miraculeuse du Messie, à la fois pleinement homme et pleinement divin.

Au point où nous en sommes, nous retiendrons avant tout que Dieu annonce qu’il a prévu de sauver l’humanité balbutiante, en faisant naître lui-même, parmi les hommes, un rédempteur au temps marqué, pour vaincre le diable et restaurer le monde dans sa condition originelle.

Cette action viendra de Dieu et, quoique la victoire soit d’avance annoncée, elle amènera aussi la souffrance mortelle du rédempteur.

Guy ATHIA


[1] La notion de chute est diversement comprise par les commentateurs juifs ou chrétiens. Quoiqu’il en soit, la désobéissance du premier couple humain engendre une rupture, une séparation d’avec Dieu.

[2] La désobéissance d’Adam et Ève est-elle inhérente à la création ?… Ou bien Dieu a-t-il été surpris ou même contrarié par cet « échec » apparent du premier couple humain ? S’est-il alors employé à trouver une solution dans la précipitation ? Le texte ne dit rien dans un sens comme dans l’autre. Il y aurait beaucoup à dire à ce propos, mais notre article s’attache à mettre en lumière le plan rédempteur de Dieu dès les premières paroles adressées au serpent.