Tout commence à Pessa’h… (BI 584)
Le premier mois de l’année — le mois de Nissan — est marqué par la fête qui détermine pour ainsi dire toutes les suivantes. Le cycle pascal au printemps fait écho au cycle automnal ponctué par les fêtes de Roch Hachana (fête de Téroua’h), Kippour et Souccot. Par ailleurs, nous pouvons ajouter que l’ensemble du calendrier liturgique annuel reflète le projet prophétique que Dieu a transmis aux patriarches, puis au peuple d’Israël en son temps. Il y a donc un grand intérêt à étudier, et même à vivre chaque année, les fêtes de l’Éternel mentionnées dans les Écritures. Elles nous instruisent sur le sens de l’Histoire et du Salut que Dieu orchestre pour son peuple, comme pour toute l’humanité.
Les grandes fêtes bibliques sont comme les marqueurs de l’Histoire avec un grand « H ». Célébrées chaque année, elles sont aussi les vecteurs d’une transmission de la foi de génération en génération. Elles font bien plus que conter et rappeler les histoires du passé. Elles les font vivre pour ceux qui les suivent et qui cherchent à travers elles à rendre gloire au Dieu d’Israël.
On peut bien entendu suggérer avec raison que le Chabbat est la plus importante des fêtes, d’autant plus qu’elle se répète chaque semaine et ponctue pour ainsi dire la vie des hommes depuis la nuit des temps. En réalité, le Chabbat est donné comme signe de l’alliance au peuple d’Israël (Exode 31.13-17) lorsqu’il recevra la Torah au mont Horeb. C’est donc Pessa’h qui dans l’histoire est le premier événement remarquable qui sera ensuite institué en fête de l’Éternel à commémorer chaque année. Depuis plus de 3500 ans, les israélites célèbrent la fête de Pessa’h en souvenir de leur sortie d’Égypte et de leur affranchissement de l’esclavage.
Aujourd’hui, il y a le faste du repas, la longueur — parfois interminable — des lectures du Maggid, les chants traditionnels et le regard impatient des enfants qui espèrent rapidement trouver la matza « cachée » et recevoir en retour un cadeau de leurs parents. Certains en ont encore les yeux qui pétillent au souvenir de leurs expériences passées, du régime sec de matza pendant une semaine ou, plus péniblement, des jours de nettoyage forcené qui ont précédé la fête.
Cependant, il y a 3500 ans, les choses étaient à la fois plus simples et autrement plus périlleuses.
L’élément central était le sacrifice de l’agneau (Exode 12.8), soigneusement mis à part le dixième jour du mois. Le sang de l’animal égorgé devait impérativement être répandu sur les linteaux des portes, nos fameuses mézouzot. Le sang servait de signe (Exode 12.13) afin que la mort des premiers-nés n’affecte pas les israélites, comme elle le fera des Égyptiens. L’agneau était ensuite tel quel rôti au feu et mangé dans la maison en faisant en sorte que personne ne s’attarde à l’extérieur au péril de sa vie. Les herbes amères accompagnaient la viande, ainsi que les pains sans levain.
Ne cherchez pas d’autres ingrédients à la fête ou au repas, il n’y en avait pas.
Alors bien sûr, il conviendrait de rappeler le cadre exceptionnel de ce dernier dîner en Égypte. Chacun est habillé prêt à prendre le chemin de l’exil. Une galout d’autant plus étrange et symbolique qu’il n’est pas question d’espérer revenir dans ce pays que Dieu frappe de son courroux. La destination finale est la terre de la promesse divine faite aux patriarches, une région qu’ils ne connaissent pas et qui constitue l’image de l’Éden perdu. Pessa’h marque l’affranchissement des israélites, esclaves des hommes comme du péché. C’est pourquoi son message transcende le temps et nous parle encore aujourd’hui, des milliers d’années après que l’événement se soit achevé.
Comme le patriarche Abraham, le peuple d’Israël quitte le pays de sa naissance pour une région qu’il ne connaît pas et dont il n’a jamais pris le chemin. Le premier pas qui coûte est souvent celui de la foi et nous n’imaginons pas Abraham songer un seul instant à un retour dans la ville de ses pères. À cette époque, nulle carte routière ou GPS susceptibles de définir à l’avance l’itinéraire à prendre, la distance à parcourir ou la qualité de la route à emprunter. C’est par la foi que le patriarche fait le premier pas. La tradition juive indique que parmi toutes les épreuves traversées par Abraham, celle qui a consisté à quitter sa patrie mésopotamienne (Genèse 12) était aussi l’une des plus difficiles (avec l’épreuve de l’Akédah en Genèse 22).
Mais pour le patriarche, comme pour le peuple d’Israël en Égypte, le chemin de la foi commence par une rupture avec son environnement et son histoire loin de Dieu son créateur. Le livre de Béréchit n’en parle pas précisément, mais il est une évidence qu’avant Genèse 12 et la « sortie » de Mésopotamie, le patriarche a fait une rencontre personnelle avec le Dieu Tout-Puissant, une rencontre qui a radicalement changé l’orientation de sa vie.
Israël, de la même manière, ne peut quitter l’Égypte sans donner un nouveau sens à sa vie. L’intention divine était certes de faire monter le peuple de l’Égypte vers un bon et vaste pays, celui qui avait été promis aux ancêtres Abraham, Isaac et Jacob. Mais curieusement, lorsque Moïse se présente à pharaon, ce n’est pas ce projet qu’il dévoile au roi.
Exode 3 :
16 Va, rassemble les anciens d’Israël, et dis-leur : L’Éternel, le Dieu de vos pères, m’est apparu, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Il a dit : Je vous ai vus, et j’ai vu ce qu’on vous fait en Égypte,
17 et j’ai dit : Je vous ferai monter de l’Égypte, où vous souffrez, dans le pays des Cananéens, des Héthiens, des Amoréens, des Phéréziens, des Héviens et des Jébusiens, dans un pays où coulent le lait et le miel.
18 Ils écouteront ta voix ; et tu iras, toi et les anciens d’Israël, auprès du roi d’Égypte, et vous lui direz : L’Éternel, le Dieu des Hébreux, nous est apparu. Permets-nous de faire trois journées de marche dans le désert, pour offrir des sacrifices à l’Éternel, notre Dieu.
Trois journées de marche dans le désert pour finalement offrir des sacrifices à l’Éternel, voilà le projet spirituel que Moïse présente au peuple et au roi d’Égypte. La libération de l’asservissement aux Égyptiens n’a de véritable sens que si sur le plan spirituel, cet affranchissement se traduit par un culte rendu au Dieu des pères de la nation israélite. Le caractère épique de notre récit biblique ne doit pas nous faire oublier que le sens premier de Chémot (Exode) est d’amener un peuple libéré de son péché à adhérer au Dieu d’Abraham. À ce propos, il est intéressant de remarquer que si beaucoup sont sortis d’Égypte libérés des chaines de l’esclavage, la plupart resteront pourtant incrédules et mourront dans le désert sans atteindre la terre de la promesse. Car sans affranchissement du péché, il n’y a pas de liberté véritable.
Clairement, l’itinéraire des israélites dans le désert est comparable à la marche d’Abraham vers la terre que Dieu lui avait promise. C’est donc par la foi, celle du patriarche, que notre propre « sortie » d’Égypte doit s’effectuer.
Quoique la célébration de Pessa’h se soit, au fil des générations, enrichie de nombreuses traditions, l’essentiel a toujours été préservé et il convient de ne pas perdre de vue la toile de fond qui habille la fête et lui donne tout son sens. Sans elle, notre célébration demeurerait stérile et vouée à disparaître, sinon de nos pratiques, pour le moins de nos cœurs.
Du reste, notre tradition elle-même ne se contente pas de rappeler le passé, de raconter un événement ancien qui concernait des hommes et des femmes que nous ne connaissons pas ou qui nous paraîtraient aujourd’hui étrangers. La sortie d’Égypte est pour ainsi dire vécue chaque année comme s’il s’agissait d’une réalité présente.
Confortablement installés autour d’une table bien garnie et peut-être richement décorée, n’oublions pas la perspective de ce qu’ont vécu nos ancêtres. Je suis tenté d’ajouter que peut-être, pour certains d’entre nous, Juifs de diaspora, nous devrions imaginer que le repas que nous prenons ce soir de Seder pourrait aussi bien être le dernier, un prélude à une galout inattendue, à l’instar de nos ancêtres en Égypte. Avons-nous pensé à l’essentiel ?… À nous préparer au chemin qui nous ramène vers la terre de la promesse ?… Bien plus que cela encore, à recevoir l’affranchissement de nos âmes que Dieu a payé lui-même pour nous ?
Tout commence à Pessa’h disais-je en introduction. Les plaies qui frappent l’Égypte sont avant tout les jugements de Dieu contre les divinités égyptiennes et leur chef, lui-même divinisé en la personne du pharaon. Mais derrière les terribles fléaux qui touchent le peuple, c’est le satan lui-même, l’adversaire de nos âmes, qui est jugé et vaincu. Nul doute que la dernière plaie est de loin la plus terrifiante. Elle n’épargne personne. Et si le sang versé et répandu sur les linteaux des portes n’avait pas « protégé » les israélites de la mort de leurs premiers-nés, nous ne serions pas là à en parler.
Il n’est pas anodin que la première et la dixième plaie concernent du sang versé. La première fois, l’eau du Nil transformé en sang annonce le jugement définitif de la principale des divinités d’Égypte, le Nil. Ainsi donc, le fleuve déifié ne pourra plus pourvoir à la vie du peuple assoiffé ni sur le plan physique, moins encore sur le plan spirituel.
La seconde fois, le sang est toutefois symbole de rédemption. En effet, le sang versé de l’agneau parle d’une vie épargnée par le don d’une vie donnée. Bien plus, sans le sang qui protège, la mort guette l’israélite comme l’Égyptien. Il est certain que si le sang n’avait pas été répandu pour protéger les maisons des israélites, la mort aurait frappé les enfants d’Israël, finalement les esclaves comme les maîtres. En de telles circonstances, aucun départ d’Égypte n’aurait été possible.
Le contexte de Pessa’h est donc particulièrement dramatique. Certains vont mourir et d’autres vivre. Et celui qui est le plus certainement sûr de mourir est encore l’agneau immolé juste avant cette soirée inoubliable.
Comme nous l’avons déjà mentionné, même si le Seder aujourd’hui s’est considérablement enrichi de traditions, il y a de cela 2000 ans environ, Rabbi Gamaliel, un éminent rabbin en son temps, enseignait que pour ne pas manquer à son devoir, il fallait mentionner pendant la fête au moins trois éléments : la Matza, le Maror et le Z’roah’ (l’agneau). Ce n’est pas que les autres détails du repas ou de la fête l’indiffèrent ou soient à ses yeux sans importance, mais il considère que ces trois ingrédients sont au cœur même de la signification de Pessa’h. Ce qu’on y ajoute ne peut avoir pour objet que de rendre plus parlant le message central de la fête et des composants qui la font vivre.
Encore indique-t-il ces trois choses à l’époque où le Temple est encore en fonction. Après la destruction de ce dernier, les rabbins vont modifier le Seder afin que soit préservée l’essentialité du message, en dépit de l’absence d’un des éléments les plus importants : l’agneau.
Lorsque les israélites se sont préparés à la fête, certains finissaient de badigeonner les linteaux des portes avec le sang de l’agneau, d’autres faisaient les bagages en vue du départ, d’autres encore surveillaient la cuisson de l’agneau et des pains pour le repas. On peut imaginer le tumulte et la précipitation de toutes les familles qui réalisent l’enjeu que représentent le sang versé de l’agneau et un repas pris rapidement — à la hâte nous est-il dit — sachant que la nuit serait longue et agitée. S’agissant du pain, la pâte devait en principe reposer plusieurs heures afin que la fermentation naturelle permette à celle-ci de lever. Faute de temps, le pain sera cuit bien avant et donc sans levain.
À l’époque du second Temple, le pain sans levain — la matza — était l’un des éléments essentiels du repas. Le cérémonial associé à celui-ci était simple. Chacun comprenait que l’absence de levain dans le pain avait un sens spirituel singulier. Le levain représentait le péché ; or son absence amenait l’israélite à considérer avec beaucoup d’attention la sainteté de Dieu et à l’inverse l’indignité de sa propre personne. Bien que la matza ne soit consommée que dans la semaine de Pessa’h, en réalité, les sacrificateurs en mangeaient toute l’année. En effet, les pains sacrés présents dans le Tabernacle, puis dans le Temple étaient des pains de trois kilos et demi sans levain, renouvelés chaque Chabbat. Si la sainteté du lieu parle d’elle-même, la présence de deux piles de six pains sans levain sur la table, mangés uniquement par les sacrificateurs, témoigne du rappel permanent de Pessa’h et de sa signification profonde, notamment le jour du Chabbat.
Par ailleurs, peu de temps après avoir quitté l’Égypte, la manne sera présentée (Exode 16) comme un pain venant du ciel, donnée par Dieu comme nourriture quotidienne au peuple. Là encore, ce pain venant du ciel est a priori sans levain. Pourrait-on imaginer en effet une nourriture spirituelle venant de Dieu qui comporte du levain, symbole de péché ?
La matza de Pessa’h est donc un symbole fort qui vient de Dieu et non des hommes. Elle est une invitation à la sainteté et plus certainement encore, une prise de conscience que cette sainteté n’est communiquée que par Dieu. Mais ce n’est pas tout. La matza dans la Bible est décrite comme un « pain de misère ».
Deutéronome 16.3 :
3 Tu ne mangeras pas de pain levé avec ce repas pascal ; pendant sept jours, tu mangeras du pain sans levain. Ce pain de misère te rappellera que c’est précipitamment que vous avez quitté l’Égypte. Ainsi tu te souviendras durant toute ta vie du jour de ton départ du pays d’Égypte.
La matza est associée au jour du départ précipité des israélites de l’Égypte. Ce jour n’est pas comme les autres jours de l’année. Ce pain de misère n’a pas non plus très bon goût. Sa consommation est une sorte de diète peu agréable. Or le levain est, tout bien considéré, à l’inverse, ce qui donne une saveur tout autre à laquelle nous sommes accoutumés.
Le péché, symbolisé par le levain, et auquel nous sommes si aisément habitués et attachés, a un goût fort « agréable » auquel on ne renonce pas si facilement.
La matza de Pessa’h est la marque d’un changement d’habitude, d’un rejet du côté agréable du péché. La repentance n’est pas seulement l’expression d’un regret de ses égarements passés. Il s’agit d’un renoncement à la « saveur » du péché. Le pain de misère n’est pas misérable à cause seulement de son goût fade. Il nous rappelle finalement notre condition d’esclave du péché, des souffrances et des épreuves difficiles qui ont été les nôtres.
La consommation de la matza en ce jour de Pessa’h est tout simplement le rappel de notre condition antérieure d’esclave et la conservation dans la bouche du goût sans saveur de la matza nous fait prendre conscience de la vanité de notre péché. Mais là ne s’arrête pas l’enseignement des rabbins.
Après la destruction du Temple, il n’a plus été possible d’offrir d’agneau en sacrifice. Nos Sages imaginent alors un autre signe pour le remplacer. Très curieusement, ils vont substituer à l’agneau une matza spéciale qu’ils vont nommer afikoman. Le rituel commence avant le repas par la superposition de trois matzot. On se saisit de celle du milieu que l’on brise en deux parties. La plus grande est alors dissimulée jusqu’à l’achèvement du repas. Le moment venu, les enfants se mettent à sa recherche. Enfin redécouverte, cette dernière est partagée entre les convives et constitue un substitut à l’agneau en même temps que la fin du repas. S’appuyant sur le Talmud de Babylone et les discussions des rabbins, on admet en général que l’afikoman est un terme dérivé de l’araméen qui signifie « dessert », dès lors que rien n’est plus consommé après. Celui-ci aurait pour objet de maintenir éveillés les plus jeunes participants jusqu’à la fin de la cérémonie. L’explication apparaît toutefois un peu courte et d’autres rabbins ont une autre interprétation de ce terme afikoman.
Les trois matzot superposées désignent les patriarches Abraham, Isaac et Jacob ; ou encore, les trois grandes familles d’Israël : Israël, Lévi et les Cohanim. Proposition à laquelle nous opposons le fait que l’absence de levain (‘hametz) dans les matzot ainsi empilées sous-entend aussi l’absence symbolique de péché. Or il semble difficile de distinguer dans toutes les options retenues à propos des personnages d’Israël la qualité suprême d’être sans péché. Les rabbins initiateurs de cette tradition avaient-ils alors autre chose à l’esprit ? Et pourquoi se saisir de la matza du milieu plutôt que d’une autre ? Les rabbins n’apportent pas de réponses à ces questions.
La demi-matza cachée, puis redécouverte avant d’être partagée et consommée peut-elle avoir un but plus subtil que simplement maintenir les participants éveillés ?… Probablement.
Certains rabbins avancent donc que l’afikoman est en réalité un terme grec et non araméen. Son origine est ancienne et serait directement liée au culte rendu par les Grecs à Dionysos. En effet, il existait en ce temps-là des célébrations accompagnées de beuveries dédiées à cette divinité. C’est Platon (en 385 av. J.-C.) qui tout particulièrement en parle dans son ouvrage intitulé Le Banquet. Les huit personnages de l’histoire boivent énormément tout en discutant de divers sujets philosophiques. Dans ces orgies à caractère « religieux », les individus passent d’un cercle à l’autre en chantant, dansant et buvant. Dans le récit de Platon, l’un de ces groupes fait une irruption inopinée au milieu de la soirée. Il est alors appelé afikoman. Ce qui peut se traduire d’une certaine manière par « il est venu ».
Nous sommes tentés d’interroger les rabbins pour leur demander en quoi les écrits si singuliers de Platon ont de rapport avec le Seder de Pessa’h. Certains commentateurs interprètent un fait qu’ils mettent en rapport avec Socrate (l’un des personnages) qui a la faculté unique de conserver tous ses moyens tout en buvant à outrance, tandis que tous les autres sont saouls. Il est alors le seul à savoir reconnaître l’afikoman (le groupe ivre qui fait irruption dans le récit). Sans se soumettre à leurs outrances, il montre clairvoyance et maitrise de soi, signes d’une liberté véritable. C’est peut-être par cette conclusion que les rabbins ont voulu illustrer l’enseignement sur la vraie liberté de Pessa’h. Par un nombre important de coupes de vin, le Seder comporte peut-être le risque de s’enivrer et le signe de l’afikoman vient à leurs yeux comme une illumination à propos de l’agneau dont on doit garder le souvenir dans les cœurs comme dans les estomacs. La tradition ajoute par ailleurs que tout est fait pour maintenir l’attention des convives sur l’agneau rôti et mangé ce soir-là. À l’époque du second Temple, le vin dont on se servait était en réalité coupé avec de l’eau tiédie afin de marquer les esprits en rappelant le sang du sacrifice.
L’intention divine est toujours de parler au cœur et il apparaît évident que même lorsque le sacrifice n’a plus été possible, tout a été fait pour rappeler l’agneau.
Le Machia’h Yéchoua’, lors du dernier repas partagé avec ses talmidim (disciples) fit étrangement le même rituel que celui institué par les rabbins quelques décennies plus tard et que nous pratiquons toujours 2000 ans après. Au cours du Seder, Yéchoua’ prit de la matza, la partagea et dit ceci est mon corps. Cette entorse au Seder a sans doute surpris ses compagnons de route. Plus tard, ils se souviendront que Yéchoua’ avait dit qu’il était le pain de vie venu du ciel.
Jean 6:32-34
32 Yéchoua’ leur dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, Moïse ne vous a pas donné le pain du ciel, mais mon Père vous donne le vrai pain du ciel ;
33 car le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde.
34 Ils lui dirent : Seigneur, donne-nous toujours ce pain.
L’allégorie ici est à rapprocher de la réalité confirmée par l’enseignement des rabbins. La matza « cachée » représente bien l’agneau sacrifié. Ma vie et ma liberté ont pour prix l’agneau qui donne sa vie. Or Yéchoua’ est l’agneau parfait de Dieu, c’est pourquoi il invite ses talmidim à manger la matza comme ils ont mangé l’agneau. La matza « cachée » puis « découverte » des rabbins illustre de manière extraordinaire la mort et la résurrection du Machia’h.
Notons également que la matza sans levain ne souligne pas uniquement le caractère sans péché du Messie qui donne sa vie. Elle est le pain de misère qui amène le Messie à porter nos souffrances et nos épreuves liées à notre condition d’esclave avant d’obtenir la rédemption.
L’économie du Temple n’avait pas vocation à durer éternellement. Nos Sages l’affirment. Les sacrifices répétés des agneaux et des taureaux préfiguraient un sacrifice à venir plus « excellent », car d’une nature et d’une pérennité éternelles. Ce qui était « provisoire » devait nécessairement un jour cesser pour qu’un « meilleur » sacrifice fasse son office et apporte liberté et salut à tous ceux qui l’acceptent jusque dans l’éternité. Or si un « seul » sacrifice parfait suffit une fois pour toutes à nous faire obtenir le Salut, il n’est plus nécessaire de renouveler les sacrifices d’animaux.
Même si à Pessa’h, les Juifs ne mangent plus d’agneau, et pour cause, ils ne peuvent oublier celui-ci. L’afikoman rappelle nécessairement l’agneau, le Zroa’h, littéralement le bras. Gamaliel avait raison de le souligner. Le sens de Pessa’h est l’agneau lui-même. Le Rabbi Abraham Wolf affirme que nos « mérites » ne représentent rien devant Dieu. Les israélites en Égypte n’avaient rien à faire valoir. Seul le sang versé du sacrifice de l’agneau pouvait amener le Salut. Une vie donnée pour une vie épargnée.
La tradition juive évoque dans la récitation du « dayénou » le fait même que si le Seigneur nous avait privés des « 15 bienfaits » — énumérés depuis la sortie d’Égypte jusqu’à l’édification du Temple – nous serions encore reconnaissants de l’essentiel. Car la sortie d’Égypte, marquée par le sacrifice de l’agneau est ce qui donne du sens à toute l’histoire des israélites.
Bien plus, le don de la Torah, le Chabbat, l’entrée dans le pays de Canaan, le Tabernacle ou le Temple ne trouvent de signification véritable que dans le sacrifice de l’agneau pascal.
Par ailleurs, Shalom Spiegel, dans son commentaire fouillé sur l’Akédah d’Isaac (Genèse 22), confirmait le lien indiscutable entre la demande de Dieu faite à Abraham d’offrir en holocauste son fils Isaac, son unique, et le sacrifice de Pessa’h. Peut-on véritablement imaginer un instant que le sang versé de milliers d’agneaux à Pessa’h puisse réellement faire l’expiation pour les hommes de cette génération ?… Le Machia’h Yéchoua’ est au cœur du message de Pessa’h et c’est lui qui est l’agneau de Dieu qui donne sa vie pour nous affranchir du péché.
Les rabbins n’omettent pas non plus de relier le texte de Nombres 9.12 et le Psaume 22, admis par nos maîtres comme un psaume messianique.
12 Ils n’en laisseront rien jusqu’au matin, et ils n’en briseront aucun os. Ils la célébreront selon toutes les ordonnances de la Pâque.
12 (22:13) De nombreux taureaux sont autour de moi, Des taureaux de Basan m’environnent.
13 (22:14) Ils ouvrent contre moi leur gueule, Semblables au lion qui déchire et rugit.
14 (22:15) Je suis comme de l’eau qui s’écoule, Et tous mes os se séparent ; Mon cœur est comme de la cire, Il se fond dans mes entrailles.
15 (22:16) Ma force se dessèche comme l’argile, Et ma langue s’attache à mon palais ; Tu me réduis à la poussière de la mort.
16 (22:17) Car des chiens m’environnent, Une bande de scélérats rôdent autour de moi, Ils ont percé mes mains et mes pieds.
17 (22:18) Je pourrais compter tous mes os. Eux, ils observent, ils me regardent ;
18 (22:19) Ils se partagent mes vêtements, Ils tirent au sort ma tunique.
Aucun des os de l’agneau pascal ne devait être brisé. Un détail qui peut sembler anecdotique, mais qui montre bien que l’agneau de Pessa’h n’est autre que le Messie dont le psalmiste parle au psaume 22 et dont tous les os peuvent être comptés.
Il en sera de même du Machia’h Yéchoua’ qui au bout de son supplice, et déjà mort, n’aura aucun de ses os brisés.
Reste le maror, les herbes amères dont le Rabbi Gamaliel soulignait l’importance avec l’agneau et les pains sans levain. Celles-ci étaient trempées et consommées en même temps que la chair de l’agneau et les matzot. Le Seder met particulièrement l’accent sur le goût amer qui doit rappeler la misère qui a été la nôtre lorsque nous étions esclaves du pharaon.
Tous les israélites en Égypte étaient de fait esclaves des Égyptiens. Cependant, certains bénéficiaient de conditions plus « confortables » que d’autres. Les diverses rébellions du peuple dans le désert témoignent des regrets et des sentiments partagés des enfants d’Israël. Le départ des israélites d’Égypte est nécessairement passé par une reconnaissance réelle de la condition amère de leur existence, de leur vie d’esclave du pharaon et plus encore, de la servitude du péché. Le départ du peuple du pays d’Égypte ne pouvait reposer sur la simple crainte d’un jugement divin. Il devait être fondé sur la prise de conscience et le rejet de l’amertume du péché dont ils étaient esclaves et l’aspiration à une vie nouvelle de liberté acquise par le Seigneur pour eux.
La consommation des herbes amères est donc capitale pour permettre à l’israélite de réaliser sa condition d’esclave et aspirer à la liberté. Avec le recul, nous savons bien que Moïse, à qui Dieu avait demandé de faire sortir son peuple de l’Égypte, a eu une mission particulièrement délicate. Mais le plus difficile n’a pas été pour lui de faire sortir le peuple du pays du pharaon, mais d’empêcher qu’il y retourne. Dans le Seder de Pessa’h, le maror tient ce rôle singulier. Il doit nous éviter de songer à revenir vers l’Égypte et son esclavage symbolique.
Chaque étape du Seder nous invite à donner du sens à la fête et comprendre que derrière les éléments symboliques que nous consommons et le récit que nous lisons se dissimulent l’extraordinaire message de Dieu pour chaque homme et femme de l’humanité, pour le Juif premièrement, puis pour le non-juif. Nul ne peut prétendre à un quelconque mérite devant le Seigneur, ni même s’enorgueillir de sa foi. Celui qui a offert l’agneau est Dieu lui-même en la personne du Machia’h Yéchoua’. C’est Lui notre Pessa’h, l’agneau de Dieu venu pour nous sauver et nous affranchir de l’esclavage de notre péché.
Le commandement consistant à célébrer la fête est assorti, en cas de non-exécution, de ce qu’on appelle la peine de karet. C’est à dire d’un jugement venant de Dieu lui-même.
Nombres 9:13
13 Si celui qui est pur et qui n’est pas en voyage s’abstient de célébrer la Pâque, celui-là sera retranché de son peuple ; parce qu’il n’a pas présenté l’offrande de l’Éternel au temps fixé, cet homme-là portera la peine de son péché.
Cela signifie que finalement, manger ou non la Pâque est une affaire entre l’homme et son créateur, un choix en toute liberté. Chacun rendra compte alors devant Dieu, le moment venu, de la manière dont il aura considéré l’agneau pascal, le sang versé de l’agneau de Dieu, de la vie du Machia’h Yéchoua’.
Tout commence à Pessa’h disais-je en titre. Le récit raconte une histoire vieille de plus de 3500 ans et pourtant, même si tous les israélites n’ont pas toujours fêté comme ils le devaient le souvenir de la sortie d’Égypte, son message nous est parvenu jusqu’à présent.
Le Seder de Pessa’h est bien plus qu’un témoignage du passé. Il est une invitation permanente et aujourd’hui encore à faire téchouva et reconnaître que le Machia’h Yéchoua’ a pris sur lui la misère qui était la nôtre, qu’il est devenu korban, une offrande et un sacrifice pour le pardon de nos péchés, notre affranchissement pour la liberté.
‘Hag Saméa’h lé Pessa’h !
Guy ATHIA
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ATHIA Guy
Directeur des publications du Berger d’Israël.
Vice-président de Beit Sar Shalom.
Conférencier et enseignant.